mercredi 15 août 2007

Solipsisme dysthymique


L’un des passages m’ayant le plus marqué en philosophie provient du Tractatus Logico-philosophicus de Ludvig Wittgenstein.

5.6 Les limites de mon langage signifient les limites de mon propre monde.

5.62 Cette remarque nous donne la clé pour résoudre la question de savoir dans quelle mesure le solipsisme est une vérité.
Ce qu’en effet le solipsisme entend est parfaitement juste, sauf que cela ne se peut dire, mais se montre. Que le monde soit mon propre monde, cela se montre dans le fait que les limites du langage (du langage que moi seul comprend) signifient les limites de mon propre monde.

5.63 Je suis mon (propre) monde. (le microcosme)

5.632 Le sujet n’appartient pas au monde, mais il constitue une limite du monde.

Ludvig Wittgenstein, Tractatus Logico-philosophicus, trad. Pierre Klossowski, Éditions Gallimard, 1961

Il faut comprendre qu’ici, le monde dont il est question est celui des représentations, c’est à dire le monde phénoménal. Wittgenstein affirme que seul ce monde existe. Au-delà, qui sait ? En effet, là où s’arrêt ce qui peut être dit s’arrêt aussi la possibilité d’exprimer et de défendre l’existence d’un monde extérieur, de la réalité. Néanmoins il doit exister une réalité à laquelle correspondent nos représentations mentales, du moins le suppose-t-on quotidiennement. Mais comme Wittgenstein rejetait la relation d’identité en logique, il se voulait conséquent, et chercha à rejeter l’identité intuitive entre représentation et réalité, entre référant et référé. Ainsi s’est-il piégé dans un étrange « solipsisme », dans lequel il ne pouvait rien affirmer avec certitude qui ne soit dans « son monde » .

Pour illustrer le point, imaginez si, dans World of Warcraft était instauré une règle d’or, pour améliorer l’immersion des joueurs, selon laquelle il serait interdit de parler du « vrai monde » (du RL, ou Real Life, pour les non initiés). Toute conversation entre joueurs devrait se conduire comme une conversation entre les personnages du monde virtuel, sans jamais déborder ce cadre. Interdit de parler du dernier Die Hard, du vin que l’on boit en jouant, de ses problèmes amoureux… Dans ce contexte, imaginez qu’un vicieux petit malin, à forte tendance nihiliste, insulte, vol et tue les autres joueurs du monde virtuel, en justifiant ses actes par sa conviction que : « je ne cause de tors à personne, parce que seul moi ai une conscience ! ». Étant donné la nouvelle loi instaurée, les autres joueurs pourront bien protester, mais ce sera en vains. En effet, sans faire référence au monde non-virtuel, méta par rapport à celui du jeu, donc métaphysique, sans parler du « vrai monde » donc, comment pourraient-ils le convaincre qu’ils existent aussi ? Dans le contexte restreint du virtuel, tel que présenté ici, le solipsisme n’est pas plus vrai qu’il ne l’a jamais été, mais il devient pratiquement inattaquable. Comment répondre à un effronté qui nous demanderait : « Prouvez-moi que vous existez ! », s’il vous est impossible de parler d’autre chose que de votre avatar virtuel, qui lui n’existe pas (du moins il est incapable de penser qu’il existe !).

1 commentaire:

Etienne Ménard a dit…

Au risque de paraître comme un nerd fini, ça me fais penser à une anecdote que j'ai vécu ce soir dans WOW. Comme je suis un healer, je peux donner des bénédictions pour aider les héros que je croise.
De temps en temps, des gens viennent se placer à mes côtés et... restent là sans bouger. Ça me prend toujours quelques secondes à réaliser qu'ils attendent que je les bénisse, sans rien dire.
Ça veut dire que des tonnes de priests ont été super gentil et ont béni tout le monde autour et maintenant c'est un automatisme. Il n'y a même plus besoin de demander ou de dire merci. Même sur un serveur Role Play où les gens sont censé vouloir interagir.
Donc, pour les gens que j'ai croisé ce soir, j'aurais très bien pu être une Intelligence artificielle avec une simple routine de :"quelqu'un proche de moi --­> je bénis" et ils n'aurais rien remarqué.
Et comme un con j'ai agis comme ça mais la prochaine fois, je vais leur rappeller ; )